par Herbert Pagani.
Texte écrit le 11 novembre 1975, en réaction à l'adoption par l'ONU d'une résolution assimilant le sionisme à une forme de racisme.
Herbert Pagani le lira en direct sur Europe 1, puis au cours de la célèbre émission des années 70 : "Le Grand Échiquier".
"L'autre jour, j'étais dans le métro et j'entends deux dames dire : "Encore ces juifs avec leurs histoires de l'O.N.U. Quels emmerdeurs !"
C'est vrai. Nous sommes des emmerdeurs. Ça fait des siècles qu'on emmerde le monde.
C'est notre nature, que voulez vous. "Abraham avec son D... unique, Moïse avec ses tables de la loi, Jésus avec son autre joue prête a la deuxième baffe. Puis Freud, Marx et Einstein, tous ont été des gêneurs, des révolutionnaires, des ennemis de l'Ordre."
Pourquoi ?
Parce que l'ordre, quel que fût le siècle, ne pouvait les satisfaire, puisque c'était un ordre dont ils étaient toujours exclus. "Remettre en question, voir plus loin, changer le monde pour changer le destin", tel fut le destin de mes ancêtres. C'est pourquoi il sont hais par les défenseurs de tous les ordres établis.
L'antisémite de droite reproche aux juifs d'avoir fait la révolution bolchevique. C'est vrai. Il y en avait beaucoup en 1917.
L'antisémite de gauche reproche aux juifs d'être les propriétaires de Manhattan, les géants du capitalisme. C'est vrai, il y a beaucoup de capitalistes juifs.
Mon problème est que depuis les déportations romaines du 1er siècle après Jésus-Christ, nous avons été partout honnis, bannis, écrasés, spoliés, chassés, traqués, c'est-à-dire convertis de force.
Pourquoi ?
Parce que notre religion, notre culture étaient dangereuses. Eh oui !
Quelques exemples :
- Le judaïsme a été le premier a créer le Shabbath, jour du Seigneur, c'est-à-dire, le repos hebdomadaire obligatoire. Vous imaginez la joie des pharaons, toujours en retard d'une pyramide ?
- Le judaïsme interdit l'esclavage. Vous imaginez la sympathie des Romains ! Il est dit dans la Bible : la terre n'appartient pas à l'homme, mais à Dieu. De cette phrase découle une loi : celle de la remise en question systématique de la propriété tous les 49 ans. Vous voyez l'effet d'une loi pareille sur les papes du Moyen-Âge et les bâtisseurs de l'empire de la Renaissance !
Il ne fallait pas que les peuples le sachent. Voilà pourquoi les ghettos, l'index, l'inquisition, les bûchers, et plus tard les étoiles jaunes.
Auschwitz n'est qu'un exemple industriel de génocide, mais il y a eu des génocides artisanaux par milliers. J'en aurais pour trois jours rien qu'à nommer tous les pogroms d'Espagne, de Russie, de Pologne et d'Afrique du Nord.
A force de fuir, de bouger, le juif est allé partout. On extrapole, et voilà : il n'est de nulle part. Nous sommes parmi les peuples comme l'enfant à l'assistance publique. Je ne veux pas être adopté. Je ne veux plus que ma vie dépende de l'humeur de mes propriétaires. Je ne veux plus être citoyen-locataire. J'en ai assez de frapper aux portes de l'histoire et d'attendre qu'on me dise "entrez". J'entre et je gueule!
Je suis chez moi sur terre, j'ai ma terre : Elle m'a été promise, elle sera maintenant due.
Qu'est ce que le sionisme ? Ça se réduit à une simple phrase :
"L'an prochain a Jérusalem."
Non, ce n'est pas un slogan du Club Méditerranée. C'est écrit dans la Bible (le livre le plus vendu et le plus mal lu du monde), et cette prière est devenue un cri, un cri de plus de 2 000 ans, et le père de Christophe Colomb, celui de Kafka, celui de Proust, de Chagall, de Marx, d'Einstein et même de Kissinger, l'ont répétée cette phrase, au moins une fois par an, le jour de Pâques.
Le sionisme, c'est le nom d'un combat de libération.
Nous, nous sommes les juifs de TOUS. A ceux qui me disent : "Et les Palestiniens ?", je réponds : "Je suis un Palestinien d'il y a 2 000 ans. Je suis l'opprimé les plus vieux du monde". Je discuterai avec eux, mais je ne leur céderai pas ma place. Il y a là-bas de la place pour deux peuples et pour deux nations. Les frontières sont a déterminer ensemble.
Mais l'existence d'un pays ne peut en aucun cas exclure l'existence de l'autre. Les options politiques d'un gouvernement, les erreurs commises par certains de ses dirigeants n'ont jamais remis en question l'existence d'une nation. Alors pourquoi Israël ?
Quand Israël sera hors de danger, je choisirai parmi les Juifs et mes voisins Arabes ceux qui me sont frères par les idées. Aujourd'hui, je me dois d'être solidaire avec tous les miens, même ceux que je déteste, au nom de cet ennemi insurmontable : le racisme.
Descartes avait tort : "Je pense donc je suis", ça ne veut rien dire. Nous, ça fait 5 000 ans qu'on pense, et nous n'existons toujours pas.
"Je me défends, donc je suis".
Herbert Pagani
Novembre 1975
Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. [ Martin Luther King ]