Le mouvement ouvrier juif en France

23-08-2006 à 21:44:14
Publié dans Les Temps Maudits, N° 18, janvier 2004
L’arrivée des Juifs d’Europe orientale (1881-1939) Fuyant les persécutions, les pogroms (massacres) et la misère, les Juifs d’Europe Orientale arrivent en France (pays de la Révolution de 1789 qui a émancipé ses Juifs), tout au long du xix e siècle, lentement mais de manière constante.

La première vague d’émigration, date de 1881 et se situe après les pogroms qui suivent l’assassinat du tzar Alexandre II par les nihilistes la seconde fait suite aux pogroms de Kichinev, en Ukraine et en Pologne, qui sont les réponses de Saint Nicolas II (1) à la défaite des armées russes face aux Japonais et surtout à la première révolution de 1905. Une troisième vague d’immigration venue d’Europe de l’Est, entre les deux guerres (1918-1939) beaucoup plus importante, concerne essentiellement ceux qui fuient les dictature et la répression policière (de Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie) mais aussi la misère due à la crise économique de 1929.

Les premiers immigrants ouvriers :

Ils viennent des villages moyenâgeux de la Bessarabie russe, de la Galicie austro-hongroise, de la Pologne et de la Lituanie, de La Biélorussie, et de la Crimée (territoires russes), ils veulent gagner l’Amérique et s’arrêtent à Paris.

De 1881 à 1901, la France accueille 4.000 Juifs russes, un millier de Juifs galiciens, 3.000 Juifs roumains, et de 1901 à 1914, 13.000 autres. Ils n’ont rien de commun avec la communauté juive française (80.000 environ), bien intégrée et constituant une fraction de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie de ce pays, et parlant la langue française.

Les nouveaux arrivants parlent le yiddish (judéo-allemand), la plupart sont des artisans et des ouvriers, souvent spécialisés dans la confection, tailleurs, ébénistes, casquetiers, cordonniers, fourreurs, petits marchands ils ne fréquentent pas les synagogues, ne lisent pas les principaux journaux juifs français de l’époque L’Univers israélite et Les Archives juives. Ils ne participent pas aux élections consistoriales et sont accueillis avec peu de bienveillance par leurs coreligionnaires français. La plupart de ces nouveaux arrivants sont politisés.

Les différents courants politiques du mouvement ouvrier juif

La Fédération Anarchiste juive de Londres qui avait son siège dans le quartier de White Chapel et de Millend, était essentiellement composée d’artisans qui avaient fuit la Russie au cours des années 1880-1890 À la fin du xixe siècle, elle était dirigée par Rudolf Rocker, allemand de souche chrétienne, qui avait appris le yiddish après avoir adhéré au groupe de Londres en 1895. Kropotkine et Tcherkezov prenaient souvent la parole au club de la fédération dans la Jubilee Street. Quelques exemplaires de journaux en yiddish, Der Arbayter Fraynd et Zerminal publiés par les anarchistes de l’East End, de Londres parvinrent jusqu’aux ghettos de Russie. Le plus ancien, celui de Der Arbayter Fraynd, édité à Londres, en 1886 portait la mention "Vilna" (Lituanie) et pour tromper la police tzariste, il se présentait somme un livre de prières de pâques (Hagadah), feignait de poser 4 questions rituelles dont la première était :"En quoi cette nuit de là pâque est-elle différente de toutes les nuits ? Mais il la transformait radicalement "en quoi sommes-nous différends de Samuel, le patron d’usine, de Meyer, le banquier de Zorekh, le prêteur sur gage et d’Itshak, le rabbin ?" Le mouvement socialiste juif prit naissance dans les cercles socialistes qui commencèrent à se former vers les années 1870-1880, dans les centres juifs les plus importants de la Russie tzariste, sous l’influence de ferment révolutionnaire qui animait les intellectuels russes. Le premier et le plus connu de ces cercles fut le cercle de Vilnus (1872), d’où sortirent les pères au socialisme juif, Aharon Zundelevicz (1852-1923), Ahron Shmuek Liberman et d’autres encore. (ou Lieberman, 1845-1880) se distinguait des autres par son opiniâtreté à faire de la propagande en hébreu (langue religieuse relancée par les Sionistes), il publia une proclamation en hébreu et fonda la "Société Socialiste hébraïque" (Haemet, La Vérité en 1877), pourchassé par 1a police, arrêté, traîné en justice, après avoir vécu aux Etats-Unis, il finit par se suicider en 1880. Comme tous les intellectuels socialistes de cette génération en Russie, Liberman subit l’influence du populisme, puis découvrit le marxisme. Il est le premier marxiste juif réclamant son appartenance à la communauté juive. C’est en voulant s’adresser aux masses que mes intellectuels juifs, connaissant l’hébreu, durent écrire leurs ouvrages de propagande en ydiddish (judéo-allemand), la langue du peuple.

Pendant la décennie suivante (1880-1890), les grands centres juifs (Russie du Sud et de l’Ouest, Pologne, Lituanie, Galicie) furent entraînés dans le processus capitaliste de développement, ce qui provoqua des transformations profondes dans la structure professionnelles des masses juives. La proportion de ceux qui se livraient à des métiers nouveaux s’accrut de façon considérable et l’on vit surgir un prolétariat juif. L’oppression exercée par les autorités russes se fit encore plus pesante et suscita une émigration en masse, principalement vers la Grande-Bretagne, les USA et la France Les Juifs socialistes russes y constituent un réseau d’organisations éducatives, qui entretient des rapports étroits avec le mouvement socialiste local. Sous la direction de Horris Winchevsky et de Abé Cahan, un "Syndicat Unifié Juif" fut fondé à New York en 1888. En 1892, fut créé, le cercle ouvrier (Arbeiter Ring), société juive de secours mutuel, la même année voit paraître le mensuel Yiddish Zunkunft (L’Avenir) puis, en 1897, le quotidien Ferwatj (En Avant).

Lorsque Emma Goldmann arrive de Russie, aux USA, elle s’intègre au groupe anarchiste allemand de Johann Most qui publie Fretheit, puis au groupe de Joseph Peuker qui publie Die Anarchist. Le mouvement anarchiste américain est surtout animé par des émigrés juifs russes : Emma Goldmann et Alexandre (Sacha) Berkman, militants internationalistes, maniant aussi bien le yiddich, que l’anglais et le russe. Le Bund (Ligue Générale des Ouvriers Juifs de Lituanie, de Pologne et Russie), fondé en 1897, est un parti marxiste, qui a comme but die rassembler tout le prolétariat juif. Il se considère à la fois comme faisant partie au -prolétariat pan-russe et membre de la communauté juive c’est-à-dire membre d’une minorité nationale opprimée. Abandonnant les perspectives de russification, il défend la thèse de l’identité nationalitaire du prolétariat juif et de sa culture yiddich, rejette toute solution territoriale du problème juif (solution sioniste), et revendique "l’autonomie nationale et culturelle". Il défend la thèse de la double oppression du prolétariat juif : en tant que minorité nationale et en tant que travailleur, mais prône l’organisation de syndicats juifs. L’influence du Bund dépasse les frontières de l’empire russe et se fait sentir dans le mouvement syndical et socialiste juif en Grande-Bretagne, USA et France. Parti Social-Démocrate Juif, le Bund participe Eu congrès de fondation du Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie (POSDR). En 1903, lors de la scission Bolchevik-Menchevik, il soutiendra ces derniers. La répression le frappera après l’échec de la révolution de 1905. Il existe aussi des organisations ouvrières sionistes socialistes, comme Poale Zion (les Ouvriers de Sion), fondés en 1899, dont certains militants sont partisans de l’action au sein des syndicats, mais s’opposent à l’action politique dans la diaspora. "Zeirei Sion" (la jeunesse de Sion) réclament la direction du mouvement sioniste. Les sionistes-socialistes veulent bâtir un Etat socialiste juif en Palestine, à partir d’une fédération de colonies agricoles (les Kibboutz). On voit où cela à mener de négliger les populations arabes vivant en Palestine.

L’accueil en France

Le Comité de secours pour les Israélites de Russie qui réunit l’archevêque de Paris, Léon Gambetta, Victor Hugo, Jules Simon, et Waldeck Rousseau entreprend d’accueillir les nouveaux immigrants. Il est boudé par les communautés de juifs français de Marseille, Avignon, Troyes, Saverne qui refusent leur aide.

C’est l’époque des campagnes antisémites menées par Emile Drumont, Alphonse Daudet, avec la France Juive (1886), La Libre Parole (Drumont), puis l’affaire Dreyfus (1886-899) qui déchire la France. Les antisémites dénoncent le "complot juif", si ce n’est celui de la "France Juive" (les Rothschild), celui de la "Révolution préparée par les Juifs". Seuls les immigrés juifs manifesteront pour la révision au procès du capitaine :Alfred Dreyfus (de la bourgeoisie juive alsacienne).

C’est la classe ouvrière, entraînée par des intellectuels comme Zola, Jaurès, Blum, Sébastien Faure, Bernard Lazare (juif anarchiste) qui arracha Dreyfus à l’île du Diable.

Les premières organisations syndicales

Les Juifs venus d’Europe Orientale commencent à s’organiser en dehors des institutions des Juifs français, dans leurs propres organisations fraternelles, leurs propres syndicats, avant que la lutte politique ne les rapprochent des autres ouvriers de l’Hexagone.

Les premiers à s’organiser sont les ouvriers immigrés de Russie, qui forment en 1887 la Société d’Entraide des Casquetiers, qui regroupe ouvriers et petits patrons. C’est seulement le 20 juillet 1896 qu’est fondée à l’initiative d’Hermann Karpel, un Syndicat des ouvriers casquetiers, qui adhère immédiatement à la CGT naissante Il y a environ 2 000 ouvriers dans les industries de la casquette, les femmes y sent plus nombreuses que les hommes. Travaillant dans des ateliers malsains dans le quartier Saint Gervais, à Paris. Les salaires sont dérisoires et dés 1901, c’est la première grève. qui se termine pas un échec. Les patrons menaçant de licencier les ouvriers syndiqués, le syndicat perd la moitié de ses adhérents.

Après 1905, le syndicat est renforcé par la nouvelle vague d’immigrants, fuyant la Russie, les grèves de 1906, chez Solinski et Frankiel, sont victorieuses. La même année est fondée une section syndicale juive, fruit d’une intense lutte entre ouvriers Bundistes et internationaliste La section, membre de la CGT est extrêmement combative. Les Bundistes étaient partisans d’organisations syndicales juives autonomes, les seconds syndicalistes révolutionnaires internationalistes de l’union avec les autres exploités. La section milite pour la journée de 8 heures, forte de 100 adhérents qui parlent le yiddish : le tournant est pris, il sera définitif, les ouvriers immigrés juifs formeront non pas des syndicats autonomes, mais des sections syndicales au sein des syndicats de s ouvriers français C.G.T. (malgré, malheureusement, certaines oppositions au sein de la Confédération).

Progressivement des sections se créent dans tous les corps de métier :en 1907, les tailleurs et les fourreurs ; en 1909, les maroquiniers, après une grève de 3 semaines ; les boulangers, section qui est décapitée par l’arrestation et l’expulsion, à la suite d’une grève, de David Kimerland A l’intérieur de la C.G.T., las ouvriers juifs ne parlant que le yiddish se regroupent dans des sections syndicales qui leur sont propres. Ils se réunissent également pour débattre de questions particulières : activités culturelles, antisémitisme, activités syndicales de tous et se regroupent en 1910,dans la Commission intersyndicale juive de la CGT. LA C.G.T, dont le responsable est Salomon Dridzo dit Losovski (1878-1952), bolchevik depuis 1903, casquetier venu en France en 1909, secrétaire de la corporation depuis 1911, retourné en Russie, après octobre 1917, Il deviendra secrétaire de l’Internationale des Syndicats Rouge (ISR/Profintern) de 1921 à 1937. Le18 décembre 1910, une première réunion convoquée par la commission intersyndicale juive de la CGT réunit 109 militants et lance un appel à renforcer les syndicats existants et à stimuler la formation de section.

Pourquoi des sections syndicales juives ?

Les syndicalistes-révolutionnaires internationalistes organisent les ouvriers juifs selon leur langue, le yiddish, en sections à l’intérieur des syndicats de métier. Afin de les intégrer au combat mené par les ouvriers français et non en syndicats juifs, comme le voulaient les bundistes, qui prônaient la constitution d’une confédération syndicale juive séparée de la CGT ; "Les ouvriers n’ont pas de frontières et ont le même ennemi, les patrons, qu’ils soient Juifs ou français". Parallèlement à l’impulsion d’une presse ouvrière yiddish, la CGT donne des cours de langue française aux ouvriers juifs afin de faciliter leur intégration dans la classe ouvrière française. Cette spécificité ne fut pas toujours comprise par les travailleurs français de souche qui voyaient d’un très mauvais œil cette immigration travaillant à bon marché. Mais de réels liens ont existé, notamment avec les militants syndicalistes-révolutionnaires, comme Pierre Monatte et les Anarcho-syndicalistes. Une fédération Anarchiste de langue yiddish, exista entre 198 et 1910. avec des contacts en Grande Bretagne et en Italie. Le 9 octobre 1911, commence la parution de Der Yidisher Arbeter (L’ouvrier Juif), éditée par les sections juives des syndicats ces ouvriers casquetiers, des fourreurs, des tailleurs et des ouvriers du cuir. s’y joindront par la suite, les ferblantiers, les boulangers, les coiffeurs et les garçons de café et de restaurants. Le N°1 est tiré à 1.000 exemplaires, sous la direction de Lozovsky et de I.Horodecki (qui a dû apprendre le yiddisch).

La lutte syndicale

En 1912, le syndicat des casquetiers devient l’une des sections de la Fédération de la chapellerie et lance plusieurs actions revendicatives le mouvement s’engage sur les salaires aux ateliers Oberstein, Serezinski et Kourland, les patrons (juifs) doivent accepter les tarifs syndicaux après trois jours de grève. Le 5 avril, la grève reprend aux ateliers Finkelstein, elle se prolonge. Le 14 juin, les ouvriers de l7 autres ateliers cessent à leur tour le travail en solidarité, obligeant le patronat à céder. En février 1912, se constitue la section syndicale juive de l’habillement, à Montmartre, puis une autre dans le quartier Bastille avec près de 600 adhérents, la plupart employés 14 à 15 heures par jour chez des façonniers également juifs. A la fin de l’année, est constituée une section syndicale des ouvriers de la confection des galeries Lafayette, de la Samaritaine et du Bon Marché. En 1913, les tailleurs des Galeries Lafayette obtiennent une augmentation de salaire uniquement pour les hommes. Pour soutenir les femmes, les tailleurs débrayent à nouveau, suivis, à l’appel de la commission intersyndicale de tous les ouvriers de la confection. Après ï5 jours de grève, les jupier(e)s obtiennent une augmentation de salaire et mes garanties contre les licenciements : Le 26 juin 1913, au terme d’une lutte pour le respect des horaires de travail, les ouvriers coiffeurs juifs du 4° arrondissement de Paris fondent une section syndicale, la même année, une section de cordonniers juifs est fondée, puis les garçons de café et de restaurant suivent à leur tour. A Noël 1913, alors que la menace de grève se précise, la commission Intersyndicale juive de la CGT et "L’Ouvrier juif" organisent une conférence destinée aux ouvriers juifs syndiqués (environ 1 500 à Paris). Ces conférences sont l’occasion d’affrontements d’idées entre les différents courants du mouvement ouvrier juif : Sionistes, bundistes, Sionistes-Socialistes, anarchistes, syndicalistes-révolutionnaires internationalistes, sociaux-démocrates. Pour cette première conférence, 28 délégués sont élus par les assemblées d’ouvriers (5 casquetiers, 5 tailleurs, 5 ouvriers du Bois, 5 du cuir et 3 boulangers).Ils débattent en présence de 150 à 200 personnes. La réunion a été préparée par une série d’articles dans L’Ouvrier Juif. A l’image du mouvement ouvrier français et à celle de la C.G.T. dont ils font partie, les différents courants politiques s’opposent dans commission intersyndicale juive. Les Bundistes, avec Elie Swiranski défendent la thèse de l’autonomie du mouvement syndical juif et donc de la suppression des sections syndicales juives au sein de la CGT. Quant à Losovsky et aux syndicalistes révolutionnaires, ils défendent la thèse du rapprochement avec les ouvriers français, tout en dénonçant leur chauvinisme. Cette dernière tendance l’emporte de justesse par 3 voix contre 10.

La presse yiddish

Les émigrés développent leur propre presse en yiddich. En 1892, le Parizer al gemùaine yiddish Folks Zeitung (Journal populaire yiddish de Paris), en 1902, Di Varheit (la Vérité) qui ne dure guère. L’expérience du Parizer Journal ne tient que quelques mois (1910-1911). Les rivalités entre différentes tendances d’un journal commun, à l’exception de L’Ouvrier Juif, journal syndical. D’autres journaux ne vivent que l’espace d’un seul numéro, comme Le Fourreur Juif (février 1911) La communauté juive en France En 1914, à la veille de la première boucherie mondiale, on compte en France, 120.000 Juifs, dont 80.000 de souche française, 40.000 immigrés d’Europe de l’est (yiddishs), sans compter 30.000 Juifs d’Alsace-Lorraine, rattachés à l’Allemagne, en 1871, et les 70.000 Juifs d’Afrique du Nord, de rite sepharad et bénéficiant de la nationalité française depuis le décret Crémieux, en 1870. Entre ces communautés, il existe d’énormes différences (langues, rites religieux, classes sociales). Les ouvriers juifs parlant yiddish s’opposent alors au projet sioniste de création d’un État juif en Palestine, prôné par les sionistes, si socialistes soient-ils et à la renaissance de l’hébreu comme langue nationale. Ils défendent le yiddish comme langue des ouvriers juifs de l’Europe orientale et la culture yiddish. La Commission intersyndicale juive de la CGT développe un travail culturel systématique : soirées culturelles avec chants et présentation de textes des célèbres auteurs prolétariens : Rosenfeld, Bovhover et Vintchevsky, ainsi que des représentations théâtrales des dramaturges en langue yiddish, enfin, initiative personnelle, Isaac Rirachowski fonde le théâtre Pertes, du nom d’un des plus grands classiques de la culture yiddish. Enfin, deux coopératives sont créées pour aider les grévistes : elles sont situées en milieu immigré, l’une 33 rue Doudeauville, l’association des ouvriers boulangers syndiqués, l’autre 27 rue de la Forge Royale, la coopérative juive, par les travailleurs du Meuble. Sous l’influence des frères William, de Belinsky, Weingodel et Kratkin, tous militants syndicaux, elle ne s’occupe pas seulement de la vente de produits alimentaires, mais également d’activités culturelles qui répondent au double souci de faire connaître la culture yiddish (langue, littérature, poésie, théâtre, musique) et d’accéder, pour les Juifs d’Europe orientale, à la culture et aux traditions françaises.

La première guerre mondiale 1914-1918

Elle remet en cause tous ces acquis. Après l’assassinat de Jaurès (30 juillet 1914), les socialistes et la CGT rallient honteusement l’Union sacrée, entraînant les étrangers vivant en France. À l’appel des 17 (dont 12 Juifs) le 30 juillet, demandant à leurs concitoyens de s’engager dans l’armée française, les premiers groupes à répondre sont les Italiens, les Grecs et les Juifs. Malgré les appels du parti bolchevik (Assemblée de Paris, 2-3 août) et d’une poignée de syndicalistes révolutionnaires, comme Monatte, à ne pas participer à cette guerre impérialiste, entre 10.000 et 13.000 s’engagent dans la légion étrangère. Les Juifs sont incorporés dans le I° régiment de ligne de la légion et considérés comme de la chair à canon de deuxième zone. Exaspérés de la discipline féroce et du racisme, 27 soldats juifs se mutinent, 7 sont condamnés à mort et fusillés. 6.500 soldats juifs trouvent la mort sur les champs de bataille.

La reprise de l’activité syndicale (1914-1918)

L’activité de la Commission intersyndicale juive de la CGT reprend en CGT sous l’effet de la crise militaire et sociale, avec les casquetiers Isokovitch et Kalinski, les ouvriers du Cuir, Prager et Zalmen, les tailleurs Gurevitch et Kaltan. Pour eux la révolution russe est " cette immense lueur qui éblouit et inaugure une ère nouvelle ". Losovski regagne la Russie.

La création d’un foyer national juif en Palestine, suite à la déclaration Balfour (2 novembre 1917) est consacrée par la conférence de paix de janvier 1918 et la colonisation menée par les sionistes suscite la réprobation de la communauté juive française (déclaration de Sylvain Levy, président de l’Alliance israélite universelle). Le mouvement ouvrier juif de langue yiddish s’oppose à l’entreprise sioniste.

Mais l’évolution de la révolution russe, sous la dictature des bolcheviks, qui répriment tous les partis ouvriers (Bund, anarchistes, SR, mencheviks) et instaure un capitalisme d’État, divise le mouvement ouvrier juif. Les anarchistes Voline et Lazarevitch dénoncent le mythe bolchevique.

La troisième immigration (1918-1934)

C’est de loin la plus importante, certains sont des émigrés politiques fuyant les persécutions policières, le racisme, la police et les prisons : communistes, bundistes, sionistes-socialistes (Paole Zion, Hachomer Hatzair), syndicalistes liés au Bund ou au PC, anarchistes (Voline), ils fuient la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, et pour certains, la Russie des soviets (Voline, Lazarevicth, Goldman, Berkman, Makhno, anarchistes, ou les mencheviks, Rafail Abramovitch, également bundistes. La plupart sont sans papiers, surexploités.

La CGTU (1922-1936) La majorité des nouveaux immigrants et des ouvriers juifs choisissent d’entrer dans les syndicats affiliés à la CGTU, plutôt qu’à la CGT réformiste, et peu compréhensive vis-à-vis des immigrés. Leur afflux relance les sections juives à l’intérieur des syndicats. Mais la main mise des communistes sur la CGTU va provoquer le passage des bundistes à la CGT, en 1926.Après l’échec de l’Association des ouvriers juifs parisiens (1919-21), la CGTU organise en 1923 la MOE, (office de la Main d’œuvre Étrangère), 33 rue de la Grange aux Belles, à Paris, dont les sections syndicales assurent la liaison entre la direction et ceux qui ne comprennent pas le français, facilitant ainsi leur intégration dans le mouvement ouvrier français. Les sections de langue yiddish sont regroupées dans la Commission intersyndicale juive de la CGTU, qui fait partie d’un comité plus large où se retrouvent toutes sections de " langues étrangères " de la CGTU, appeler Commission de Propagande. Arbeiter Shtime (la voix des travailleurs) devient le bimensuel de la Commission intersyndicale juive de la CGTU. La majorité de ses sections se trouvent dans l’Habillement, les Cuirs et Peaux. Fin 1925 est fondée la section juive du syndicat du Cuir et Peaux, animée par Jacques Landman, dit Lederman, puis par Maurice (Baïstock), qui deviendra responsable de la propagande (Lederman est un communiste polonais). Les ouvriers français qui travaillent dans la maroquinerie de luxe acceptent mal ces étrangers. Il faut le poids du responsable des ouvriers immigrés de la CGTU, Julien Racamond pour apaiser ces rivalités. Des cahiers de revendications sont déposés, bientôt suivis de grèves victorieuses qui encouragent les ouvriers d’autres secteurs employant des immigrés juifs, ouvriers de la confection pour dames et de la confection pour hommes des ateliers de Montmartre, Belleville, le Marais, qui emploient des milliers d’immigrés, très dispersés, isolés les uns des autres, démunis d’argent dès qu’ils cessent le travail. Quelques militants les organisent comme Léon Gdanski, Itché, Adolphe Bilbergal et déclenchent une grève quasi générale de 10 jours, en 1926. Mais seuls quelques patrons accordent une augmentation et une amélioration des conditions de travail. Une section fourreur est créée en 1926, avec Malaga, une autre des boulangers avec Korzec. Ces différentes sections vont se trouver devant un problème interne. Les bundistes quittent la CGTU pour la CGT. Chez les maroquiniers le mouvement est enrayé par Léon Holand (pourtant lui-même bundiste) qui reste à la CGTU. La crise des années 30, provoquée par le krach de Wall Street, en 1929, provoque le chômage et touche de plein fouet les ouvriers immigrés, souvent sans papiers, les contraignant à tout accepter pour gagner de quoi survivre. Le nombre de travailleurs à domicile s’accroît, sans limite d’heures de travail. Les avantages acquis par la lutte s’écroulent les après les autres.

Partis et associations Dès 1920, un certain nombre d’immigrés juifs ont adhéré à la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste). Délégué au congrès de Tours, Abraham Brones, ouvrier tailleur, venu de Pologne, deviendra dirigeant de l’Union des Sociétés Juives de France. En 1924, le parti communiste, le Sfic, crée le MOI qui regroupe une douzaine de sous-sections : espagnole, italienne, juive, arménienne. Parallèlement est fondée la ligue juive de l’enseignement, la Kulture Ligue (Ligue culturelle) qui se développe à partir de 1923, sous l’impulsion des immigrés juifs les plus politisés, bundistes, communistes. Son but est de propager la culture yiddish, créer une bibliothèque, mais aussi de faire mieux connaître la culture française par ses conférences, qui reçoivent entre 1923-1924, la participation de Petetz-Markich, poète écrivain, de Charles Rappoport, révolutionnaire, Marc Jarblum, sioniste-socialiste. Le succès de la Kulture Ligue (KL) est immédiat (conférence sur des sujets littéraires, la nouvelle poésie yiddish, la morale hassidique du xviii siècle, les Juifs dans la littérature française). Mais en 1925, une fraction rouge (communiste se constitue, qui élimine les bundistes et les Poale Zion (parti sioniste de gauche) et prend la direction de la Ligue. Celle-ci devient en même temps qu’un organisme culturel, une sorte de " Bourse du travail et de logement, un bureau de renseignement pour l’obtention de papiers d’identité et de travail ". En 1926, elle s’installe 10 rue de Lancry. La période 1920-1930 voit l’essor des diverses organisations socioculturelles rattachées à la KL.

Le YASK (Yiddisher Arbeter Klub), club sportif ouvrier juif (1929) affilié à la Fédération sportive des travailleurs, al future FSGT avec Herman Maltchotski, Charles Aronovitch, Albert Kornfeld, Wolf Sarabski et Tiger. Renforcé en 1930, par l’arrivée d’un ancien membre d’un club sportif ouvrier de Varsovie (Promien), interdit par la police polonaise, avec Aron Garbarz.

Le Yask organise des sections de natation, de basket, de football, de camping, d’échec, de gymnastique. Il est présent au cours du grand rassemblement international des sportifs de 22 pays contre le fascisme et la guerre au stade Persching en 1934.

La section jeune de la KL donne naissance à l’AYK (Arbeter Yugent Klub, le club des jeunes ouvriers) qui veut élever la conscience de classe des jeunes Juifs immigrés travailleurs et chômeurs. Avec Kenig (Gromb Meillech), jeune ouvrier syndicaliste du textile de Varsovie, les frères Yankiel, Szolma Fielman, jeune Polonais, volontaire dans les Brigades internationales en Espagne, en 1937, Ilda Edelman, les ykistes s’ouvrent aux problèmes sociaux aux côtés des jeunes Français révolutionnaires. La langue courante reste le yiddish jusqu’au moment où l’élargissement de son influence amène à l’organisation des jeunes nés en France, et dont la langue française est quotidienne. Le bilinguisme devint alors monnaie courante. La menace fasciste pousse en 1934 l’Ayk à prendre l’initiative d’un grand débat (novembre 1934) qui rassemble 200 représentants des organisations de jeunes Juifs, dont deux sionistes, le Hekhaluts (Pionniers sionistes) et le Hachomer Hatzair (jeunes sionistes de gauche). L’ Arbeter Orden (L’ordre ouvrier, AO) créée en 1933, il regroupe une large couche de la population juive, ouvriers, marchands, artisans. Il est dirigé par Spero (Yakov Gofmanas, intellectuel lithuanien), Itschok Krystal et Szymon Sztrumfman, élus par les adhérents. Le but est d’apporter aux travailleurs juifs une aide médicale. Il est à l’origine d’un cercle de santé, 14 rue du Paradis. L’AO soutient la lutte des travailleurs français par une véritable assurance sociale et fonde un dispensaire. Une section Femme dispose d’une page hebdomadaire dans La pensée Nouvelle. Il existe aussi "Les amis de l’enfant ouvrier juif" (1934) avec la colonie de vacances de Brunoy dans la forêt deSénart ; les écoles de Belleville, Montmartre, la Bastille, le Marais. En 1937, Schmelek Farber, Régine Grynberg et Alice Blum, arrachent les enfants juifs au cléricalisme et aux écoles Rothschild. On assiste à un véritable essor culturel yiddish : la KL crée une université ouvrière, qui donne des cours de français, d’économie pratique, de yiddish, d’hébreu, du mouvement syndical, de marxisme, avec des clubs à Paris et en province.
La bibliothèque de la KL (3.000 volumes).
La chorale ouvrière de la KL (1930), 125 participants en 1932, avec le réfugié allemand Peter Rousset, Aryat Kaufman, ouvrier fourreur autodidacte et Nahum Reznik, musicien professionnel.
Le PYAT (Parizer Yidisher Arbeter Teater, théâtre ouvrier juif de Paris) avec des metteurs en scène venus de Pologne, David Licht et David Kurlander, Rivka Fein, Mansdorf. Le célèbre metteur en scène Edwin Piscator y prononce une conférence sur le théâtre révolutionnaire en Allemagne et en URSS. La KL organise en 1935 une exposition d’arts plastiques avec des œuvres des sculpteurs et peintres juifs comme Grommeler, Mietchnikoff, Aberdam, Aronson, Altmann et Chagall.

La presse ouvrière juive Rédigée par des militants, après leur travail, comme Louis Granovski, des hebdomadaires paraissent, qui changent de titres après chaque interdiction : La Vérité, mensuel puis hebdomadaire, 17-2-1932 ; L’Etoile, juillet 1932 ; La Semaine, En Avant, hebdomadaire, puis bi-hebdomadaire, 16-11-1932, tri-hebdomadaire, janvier 1933 ; Le Matin, avec Léopold Domb Trepper. Enfin le 1 janvier 1934, la Naie Presse (la presse nouvelle) qui ouvre ses colonnes à la Commission intersyndicale et aux diverses sections syndicales, popularise les grèves et appelle la population juive à les soutenir, fait campagne pour les 40 heures, mobilise contre le fascisme et pour la constitution d’un front unitaire. L’équipe de rédaction est composée de Monie Nadler, Israël Hirchowski, Louis Granovski. Elle est soutenue par l’Association des amis de la Naie Presse. Dans le même temps, les sections syndicales juives développent leur propre presse, mais les périodiques sont éphémères : Parizer Bekleidung (l’Habillement parisien) édité par la Commission de propagande juive au sein du syndicat parisien de l’habillement CGTU pendant deux ans, puis suivi par Der Nodel Arbeter (l’ouvrier à l’aiguille) en 1932. Le syndicat des ouvriers juifs du textile édite à partir de 1933 Der Striker (le tricoteur). Quant à la Commission intersyndicale juive, elle publie pendant quelques mois Syndikate Tribune (la tribune syndicale). Plus tard, en 1936-1937, le syndicat des ouvriers de la Maroquinerie fait paraître Der Marokineri Arbeter, et la Commission intersyndicale Der Yidisher Arbeter (l’ouvrier juif), bien qu’éphémère, hebdomadaire ou mensuel, cette presse se veut le reflet du combat syndical qui se développe.

Grèves et répressions

Au cours des années 1930-1931, le mouvement ouvrier juif est renforcé par l’arrivée de nouveaux immigrants venus de Pologne, Roumanie, Belgique, voire de Cuba. A partir de 1932, des grèves contre les patrons juifs qui exploitent les ouvriers juifs. Les plus importantes sont celles des 500 ouvriers fabriquant des manteaux de cuir, en grève pendant 4 semaines, en 1932, dirigée par le secrétaire général de la Fédération du Cuir et peaux de la CGTU, Charles Michels (futur député PCF, fusillé par les nazis) et par la section juive avec Charles Berkowicz et Simon Dawidovitch. Cette grève victorieuse stimule la combativité des autres corporations.

La section juive du syndicat des hôtels-cafés-restaurants, regroupant hommes et femmes travaillant dans des conditions inhumaines chez des patrons juifs -soutenus par le syndicat dirigé par Louis Mercier-, une série de grèves, menées depuis 1933, permet d’arracher de meilleures conditions de travail et la reconnaissance du syndicat. En 1934, c’est la grève des boulangers, dont 40 % étaient au chômage. Par solidarité, les boulangers exigent des patrons qu’ils accordent 2 nuits de travail aux chômeurs. Devant leur refus, ils cessent le travail. Les patrons embauchent des briseurs de grèves, font arrêter Jacques Lederman de la Commission intersyndicale et 120 ouvriers de Belleville, qui avaient manifesté leur solidarité avec les grévistes.

Sous la pression de l’opinion publique de Belleville, la patronne Englisher doit se rendre au commissariat exiger leur libération. La solidarité envers les grévistes se manifeste par des collectes, des soirées de solidarité aux Folies Belleville (500 personnes), une vingtaine d’épiciers refusent de vendre du pain fourni par les boulangeries employant des "jaunes", meeting le 12 juin avec Charles Rappoport , Julien Racamond de la CGTU et Jacques Lederman, de la Commission intersyndicale juive. Quatre semaines seront nécessaires pour faire céder les patrons. En cas de conflit, les patrons n’hésitent pas à faire appel à la police. Sans papiers, les ouvriers juifs sont arrêtés et souvent expulsés. Les bandes fascistes "croix de feu" et "camelots du Roi venus du d’Action française, armés de barre de fer, secondent la police pour nettoyer la France des "indésirables métèques". Il ne fait pas bon être un ouvrier juif isolé. Certains quartiers, comme le Marais, mettent en place un système de guetteurs

Division et violents conflits internes du mouvement juif ouvrier Ils opposent les bundistes, communistes staliniens, trotskystes, anarchistes, et sionistes-socialistes. De nombreux militants rejoignent le mouvement de Léon Trotsky opposé à Staline, auquel il oppose la révolution permanente contre la construction du socialisme dans un seul pays (l’URSS), le Front unique ouvrier contre le fascisme à la dénonciation du "social fascisme", politique désastreuse qui a amené Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933. Parmi ces militants venus du PC, citons Pierre Frank (1905-1984),militant de la Fédération de la Chimie de la CGTU, qui participe à la fondation du premier journal trotskyste en France ("la Vérité" en 1929), puis à la Ligue Communiste en 1930 ; David Korner, dit Barta, Juif roumain, à la LC en 1930, fondateur en 1939 d’un groupe lointain ancêtre de LO, Pierre Boussel, dit Lambert, à l’origine d’un courant trotskyste dont est issu le PT ; Lucienne Abraham, dite Michelle Mestre, etc. Cette scission affaiblit un moment la section juive du PC.

Les anarchistes juifs sont représentés par Vsevolod Mikailovitch Eichenbaum dit Voline (qui participe avec Makhno à la révolution libertaire en Ukraine du sud, venu en France en 1925, il dénonce le "fascisme rouge" et compare fascisme et bolchevisme. Il rédige pour l’encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure les articles "pogroms, antisémitisme".

En 1926, se basant sur le récit d’un journaliste russe blanc, Arbatov, et du colonel Gurassimenko, Joseph Kessel (écrivain français d’origine juive russe) fait paraître un roman Makhno et sa Juive, en présentant Makhno comme un fou sanguinaire, responsable de pogroms en Ukraine. Dans un "Appel aux Juifs de tous les pays", publié par la revue anarchiste russe de Paris en 1927, Makhno répond à cette accusation inspirée par le guépéou, visant à le salir, dénonçant un faux grossier. En effet, les Juifs ont joué un rôle important dans la makhnovichchtina et Makhno punit de sa main les auteurs d’actes antisémites et de pogroms (comme l’ataman Grigoriev). L’historien des pogroms juifs d’Ukraine, E. Tcherikover conclut : " pas une fois, je n’ai pu constater la présence d’une unité makhnoviste à l’endroit où des pogroms ont eu lieu." Quant à l’auteur des pogroms, l’ataman nationaliste ukrainien, Simon Petlioura, il fut exécuté à Paris en sortant d’un restaurant, par le jeune Juif anarchiste ukrainien Simon Schwarzbad, le 26 mars 1926.

La lutte antifasciste

En 1930, la crise économique et politique déferle sur la France et le monde. En 1933, la politique criminelle de Staline et du PC allemand, refusant le front unique ouvrier contre le nazisme, permet l’accession légale de Hitler au pouvoir (30 janvier 1933), l’écrasement du mouvement ouvrier allemand et ouvre une période de persécution des Juifs et des Tziganes qui culminera avec la shoah. En France, une tentative de coup d’état fasciste échoue en février 1934 (violents affrontements place de la Concorde). La nécessité d’un front commun antifasciste devient urgente. Le 8 juin 1934, 500 délégués de toutes les organisations ouvrières juives tiennent une conférence contre la guerre et fondent le 2 juillet, la section juive du comité antifasciste, dont la première conférence a lieu, le 8 juillet, avec la Licra, avec Bernard Lecache, des représentants du Bund et de Poale Sion. Le 14 juillet, socialistes et communistes se rencontrent pour négocier un pacte d’unité d’action, signé le 27. La sous section juive du PCF fait de même avec le Bund et Poale Sion. Ce pacte d’unité d’action contre le fascisme est approuvé par un meeting devant 1.000 ouvriers à Paris. Parmi eux, un ouvrier musulman algérien assure aux Juifs sa solidarité prolétaire contre le colonialisme français, et contre le racisme.

La Moi constitue en 1935 un centre de liaison pour la défense des immigrés. Le "Mouvement Populaire Juif" est constitué le 9 octobre 1935 par 160 délégués de 60 partis, organisations, fédérations des sociétés juives de France (Marc Jarblum), Bernard Lecache (Licra), Garin (Paole Sion), Hermans (Poale Sion de droite), Shraguer (sous section juive du PCF), Alfred Grant (de la section juive du Secours rouge), Schlisselman (anciens combattants juifs), Iosel Warzawski (Commission intersyndicale de la CGTU), Kwaiko (Foyer juif), etc.

Les jeunes créent un comité de coordination (11 septembre 1935) entre le yask, le Ayk, l’organisation jeunesse juive progressive Kampf, l’union de la jeunesse juive, Shalom Hek Halouts (toutes trois sionistes), les jeunes israélites de Montreuil, le club des jeunes de Montreuil ; 70 yajistes font partie du groupe sportif de la Fédération sportive et de gymnastique du travail envoyé à la Spartakiade de Barcelone, les 22-27 juillet 1936, réplique antifasciste aux jeux olympiques de Berlin.

Le combat internationaliste

Malgré le poids du stalinisme sur le mouvement ouvrier international, la méfiance de Staline envers le cosmopolitisme, les Juifs ouvriers révolutionnaires (y compris communistes) vont mener un combat internationaliste contre le fascisme, en tant qu’ouvriers juifs, donnant un exemple au monde entier.

Au sein de la communauté juive, ils mènent un combat contre l’obscurantisme religieux et contre le nationalisme sioniste, pour la défense de la culture juive traditionnelle yiddish. C’est ce mouvement que brisera Hitler par la shoah, consacrant la victoire du sionisme par la création de l’Etat d’Israël en 1948. Israël s’est bâti sur les cendres du mouvement ouvrier révolutionnaire yiddish. Ainsi en mai 1936, lors de la traditionnelle manifestation au mur des Fédérés commémorant le massacre des Communards (1871), le cortège homogène des immigrés juifs défile derrière une banderole où l’on peut lire " Contre tous les nationalismes, pour l’union des travailleurs immigrés et français", du jamais vu ! Les Juifs révolutionnaires participent à la guerre d’Espagne. 8.000 ouvriers juifs combattent dans les rangs républicains. Le 12 décembre 1937 voit la formation, dans les brigades internationales, du bataillon Naftali Botwin (du nom d’un jeune communiste juif polonais -1905-1925-, cordonnier, fusillé pour avoir abattu un agent provocateur dans la rue). Sur le drapeau était brodé : "Pour la liberté et la fraternité des peuples et des races" Le 17 juillet 1938, les engagés juifs de la compagnie Botwin en Espagne écrivent : " le fil d’or de l’histoire juive relie les macchabés à Hirsh Leckert [révolutionnaire juif de Vilnus au début du siècle]. Notre histoire est parallèle à l’histoire du monde civilisé. Les miliciens combattent en Espagne contre la barbarie fasciste, contre le racisme, pour éviter une catastrophe au peuple juif, pour la victoire de la Justice et de la Civilisation. "

Contre les nationalistes sionistes, est organisé le congrès mondial de la défense de la culture juive, qui se tient à Paris en 1937. Pas n’importe quelle culture juive, dans l’optique du mouvement ouvrier révolutionnaire juif la culture juive d’Europe est intimement liée au yiddish, et non à l’hébreu. C’est en yiddish qu’ont écrit les écrivains prolétariens juifs, comme Peretz. Le comité d’initiative pour un front culturel juif, formé par la KL, lance cet appel : " Simultanément avec l’oppression politique et économique, souvent avec l’extermination physique dans certains pays, on applique contre la population juive une politique qui tend sciemment à la liquidation, à la destruction des positions magnifiques de la culture laïque juive, qui furent érigée avec tant de soins et de sacrifices par la population juive. " 4.000 personnes assistent à a salle Wagram à Paris, à la séance inaugurale du congrès mondial pour la défense de la culture juive, le 15 septembre 1937. Venus de 23 pays des 5 continents, 102 délégués de Belgique, d’Australie, Grande Bretagne, Brésil, Cuba, Mexique, USA, Canada, Afrique du Sud, Palestine, Pays Bas, France, Italie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Danemark, Pologne, Roumanie, Suisse, Tchécoslovaquie, mais pas de l’URSS. Ils représentent 677 organisations culturelles et les noms les plus prestigieux du "yiddishland".

Les grèves de 1936

Le grand mouvement de grève de 1936 fut préparé par une série de grèves dans le secteur juif, maroquinerie, confection dames et hommes, des 43 ateliers des Galeries Lafayette (novembre 1935), ouvrier fabriquant des manteaux de cuir, du tricot, de l’industrie du vêtement en caoutchouc (juin-juillet 1935). La réincarnation de la CGT et de la CGTU en 1936 renforce les sections juives. En mai 1936, il y a 22 sections syndicales juives, 19.000 syndiqués. Sous la direction de la Commission intersyndicale juive de la CGT, réunifiée, animée par Iosel Warszawski, Ietser Holman, Jankel Studnia, Abram Wiener, Isaac Krisucki, Alfred Besserman, Ieschka Tenenbaum, Jacques Lederman, Maurice Miedzinski, Laizer Goldman (Michel) et Michel Monikowski.

Le mouvement de grève débute le 4 juin 1936 chez les cordonniers, gagnent les tailleurs le 8, les bouchers, les maroquiniers le 9. Les ouvriers de la confection, du Cuir forment un comité de grève le 10, comme celle du caoutchouc. Les tricoteurs occupent les ateliers le 13, les coiffeurs, les ouvriers façonniers de la confection débrayent le 15. Partout on parle yiddish. Dans tous les métiers, antenne de la lutte, ils obtiennent des programmations de salaires, la réduction des horaires du travail, des lois sociales, les congés payés. Mais la victoire la plus fondamentale est que souvent, pour la première fois, les ouvriers émigrés ont combattu côté à côté avec les ouvriers français et ont mené ensemble la lutte contre l’ennemi commun : le patronat. Les associations juives se développent, mais le combat continue.

La shoah

Durant la seconde guerre mondiale -1939-1945- les révolutionnaires juives se battent les armes à la main dans la FTP-MOI du groupe internationale de Manouchian à Paris, les bataillons "Carmagnole" à Lyon, "Liberté" à Grenoble, la compagnie Maurice Konzec à Marseille, la 35° brigade de Marcel Langer à Toulouse, avec son lot de martyrs. "Les Juifs vont à l’holocauste les armes à la main" lit-on dans "Notre parole " de juin 1943. Mais en 1945, la shoah a anéanti le yiddishland, le mouvement ouvrier juif européen.

C. Cusol et L. Landauer CNT Interco 95

Sources principales : Archives de la Commission intersyndicale de la CGT, Bibliothèque Medem, Les libertaires du yiddishland de J. M. Izrine

1) Nicolas II, synonyme " sanglant" pour les ouvriers, a été canonisé par l’Eglise orthodoxe comme martyr des bolcheviks.
Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. [ Martin Luther King ]